Le 13 juillet, Marat fut assassiné par Charlotte Corday, une jeune royaliste de Normandie. On la guillotina le 17. Tout le monde a entendu parler de Charlotte Corday, mais qui la connaît vraiment ? En deux cents ans, elle a inspiré une bibliographie considérable : plus de soixante-dix biographies et pièces de théâtre, mais elle apparaît aussi dans des milliers de textes littéraires, de Chénier à Drieu la Rochelle en passant par Dumas et Lamartine. Un seul clic sur Internet montre qu'elle fait aujourd'hui partie d'une mémoire mondialisée : aux Etats-Unis, en Angleterre et en Allemagne, elle est - comme Marie-Antoinette - peut-être encore plus célèbre qu'en France.
Marie-Anne Charlotte de Corday d'Armont est issue de la vieille noblesse normande, et avant 1789, c'est encore un prestige social ; son père peut donc prétendre à placer ses deux filles dans la Maison royale de Saint-Cyr en 1776, avec le soutien indirect du duc d'Orléans. la famille jouit de solides protections et fréquente la bonne noblesse, sans pour autant avoir les moyens d'assumer les frais d'une véritable mondanité. On peut voir Charlotte Corday comme une déclassée ayant essayé de tirer parti d'évènements exceptionnels pour gravir rapidement l'échelle sociale. les d'Armont conservent dans leur comportement la mémoire de leur lignage, ce qui expliquerait en partie chez Charlotte Corday l'intrépidité inspirée par toute une culture du duel : le projet initial, qui consistait à tuer Marat en pleine Convention, s'inspirait de précédents historiques aussi illustres que l'assassinat devant le Sénat de César par Brutus. Jusqu'au bout, le goût de Corday pour le sublime coexiste avec une éthique nobiliaire fondée sur l'honneur. En citant son aïeul Thomas Corneille, elle rassure ainsi son père : "C'est le crime qui fait la honte, et non pas l'échafaud."
Longtemps les généalogistes se sont disputés pour savoir si Charlotte Corday était bien une descendante de l'écrivain Pierre Corneille. Le fait est aujourd'hui établi : Charlotte Corday est son arrière-petite-nièce. Ce détail était primordial au XIXe siècle pour qui voulait prouver que Charlotte Corday était nécessairement vouée au tragique. A cette époque, caractérisée par les découvertes sur l'évolution des espèces, la généalogie était bien souvent un moyen de prouver la dégénérescence ou le génie des individus.