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 Les deux bossus

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MessageSujet: Les deux bossus   Les deux bossus EmptyMer 6 Juin - 21:41

Toutes les histoires de sabbat ne sont pas sinistres et il en est qui racontent des aventures assez cocasses. C'est que les sorciers aiment la plaisanterie et savent rire quand il le faut. Ecoutez:
Il était une fois un pays qu'on appelle la Comté et dans ce pays un petit village nommé Fontenois-les-Montbozon, à mi-route entre Vesoul et Besançon, et dans ce village des hommes et parmi ces hommes un nommé Achille. Pourquoi, diable! l'avait-on appelé ainsi: il n'avait pourtant rien de commun avec le héros des Grecs. Il était petit, assez laid et par surcroit bossu.
Mais sa difformité ne l'empêchait pas d'être gai. Quand il lui arrivait de rouler sa bosse sur les routes du pays, il chantait à pleine voix. Et quand il avait beaucoup chanté, il avait soif et buvait du bon vin. Mais quand il avait bu, il chantait à nouveau. Bref, c'était un franc luron, un joyeux loustic et un gai compagnon. Au café, à la veillée, à la noce, il faisait rire l'assistance par ses calembours et ses histoires, à croire qu'il avait de l'esprit plein sa bosse. Lui-même riait à gorge déployée, pensant comme le bon Rabelais que "le rire est le propre de l'homme", et se moquant bien du dicton: " Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera ". Oui, il justifiait à merveille l'expression, que l'on emploie parfois: " rire comme un bossu ".
De son métier, il était tailleur et, ma foi, fort habile. Il n'avait pas son pareil pour couper, coudre et ajuster un habit. L'étoffe, serge ou droguet, en un instant prenait forme sous ses mains pleines d'adresse. Naturellement, il ne travaillait pas qu'à Fontenois. Il allait en journée dans les villages voisins, taillait de beaux habits neufs et rapièçait des vieux, et tout cela avec le sourire, une chanson sur les lèvres et une humeur enjouée.
Ce jour-là justement, il était allé à Dampierre, à une bonne lieue au nord de Fontenois. Il y était bien aimé et tous ses clients lui avaient offert un verre de bon vin... ou deux. Il commençait à sentir sa tête tourner dans un épais brouillard.
- Quand le vin est tiré, il faut le boire, articulait-il d'un ton sentencieux, mais d'une voix pâteuse.
Tant bien que mal, il reprit le chemin du retour. La nuit était déjà noire et froide, le vent sifflait lugubrement dans les branches, les oiseaux de nuit ululaient, mais Achille n'avait pas peur. Il se sentait plus gai encore que d'habitude et marchait en zigzag. Il chantait à tue-tête un vieil air dont il embrouillait les paroles:
Derrière chez mon père
Vole, vole, mon coeur vole...
Il y a un pommier doux
Il était à peu près minuit, quand il arriva au pont de Vaux-Chatru, sur la Linotte, une petite rivière bordée de joncs. Il aperçut, non loin de là, desfeux qui brillaient dans la nuit.
- C'est le sabbat, dit-il en riant; curieuse affaire! Il y a des gens à cheval sur des crapauds. Pouah! Quelle drôle d'idée de danser la nuit... et de plus, sans boire!
Et il continua sa route sans le moindre frisson. Un peu plus loin, il entendit une chanson, une ronde avec un refrain, que reprenait un choeur fait de voix puissantes. Dans le silence de la nuit, l'air paraissait étrange, très bruyant avec des roulements graves et des notes aiguës. Le rythme était animé, entraînant et vraiment endiablé. Achille prêtait l'oreille.
Au bout d'un moment, il distingua les paroles:
"C'est demain dimanche!
C'est demain dimanche!"
Alors, de sa plus belle voix, il continua:
"Et après-demain lundi!"
Un roulement de tonnerre n'aurait pas surpris davantage les sorciers. Tous coururent à lui, même les vieux à barbe blanche ou les vieilles à la bouche édentée. Il ne bougea pas et les salua poliment. Ils le prirent par les mains, par les pieds, le portèrent, le poussèrent, le roulèrent en s'agitant avec frénésie et en poussant des hurlements.
- Qu'ils sont brutaux! fit-il, tout étourdi. Ils vont me faire chanter de la pire façon et me donner une danse.
Mais non! Il ne fut pas battu et personne ne lui reprocha d'avoir dérangé le sabbat. Sorciers et sorcières le firent entrer dans la ronde. Il sautilla, gambada, trépigna en déployant une mine réjouie. Il chanta tant qu'il put.
Quand la ronde fut finie, le chef, un grand gaillard souriant, tenant dans sa main un sceptre à tête de diable, comme la marotte des bouffons, dit d'un ton aimable:
- Bossu, tu chantes bien.
- Je fais ce que je peux, répondit Achille avec une fausse modestie.
Alors le chef ordonna d'un geste large:
- Qu'on ôte sa bosse, sans qu'on le cabosse.
Les sorciers se ruèrent immédiatement sur lui. On le frappa, on le cogna, on le tapa, on le frotta dans le dos, avec vigueur et bientôt la bosse détachée alla rouler dans un coin.
- Gardons-la dit le chef, ça peut servir.
Puis il fit signe à Achille de s'en aller et celui-ci, tout heureux, ne demanda pas son reste.
Le sabbat, comme son nom l'indique, avait lieu le samedi et le lendemain était un dimanche. Les gens de Fontenois mettaient leurs beaux habits, pour aller à la messe. Quand tout le monde fut installé dans la petite église, Achille s'avança dans la grand'nef, fier comme un paon, avec une gravité qui ne lui était pas habituelle. Ce fut dans l'assistance une stupéfaction. Bien qu'on fût dans un lieu où le silence est de règle, les hommes se poussaient du coude, en se disant à voix basse:
- Regarde voir le bossu. Le voilà redressé.
Et les femmes, encore plus bavades, cherchaient à découvrir les raisons de ce changement soudain.
- C'est la médecine, disait l'une.
- C'est le Ciel, faisait une autre.
- C'est sûrement le Diable, répliquait une troisième.
Après l'office, Achille fut entouré par une troupe nombreuse, qui ne lui demandait pas comme à l'ordinaire des histoires, mais son histoire. Il la raconta simplement, en montrant bien qu'il n'avait pas sollicité cette faveur des sorciers et qu'il ne faisait en rien partie de ce troupeau maudit. Il ajouta que, pour des créatures de Satan, ils s'étaient montrés très gentils avec lui.
Mais personne ne voulut le croire:
- Allons, disait-on son récit ne tient pas debout. Des sorciers bienfaisants! Cela ne s'est jamais vu. Il se moque de nous.
Cependant, en réfléchissant à l'affaire, il fallait bien constater:
- Le fait est qu'il a perdu sa bosse.
Pendant trois jours, on ne parla que de cette métamorphose au village. Il y eut plusieurs camps, soutenant chacun une opinion différente, se battant même au besoin pour elle. Puis les passions s'apaisèrent, l'attention se porta sur des événements nouveaux, Achille sombra dans l'oubli...
Il y avait pourtant quelqu'un qui n'oubliait pas l'aventure: cétait Célestin, le savetier. Il était lui aussi petit, laid et bossu, mais avec cette particularité qu'il était bossu par devant. En outre, il était d'un caractère bien différent de celui d'Achille. Il était constamment triste, avec une mine sombre et renfrognée, une humeur maussade comme un temps sans soleil. Quand il raccommodait les vieux souliers, il semblait encore plus usé qu'eux. Il était découragé de nature et il avait en plus connu pas mal de malheurs dans sa vie, moqué, battu, méprisé depuis son jeune âge. Il vivotait avec un métier de gagne-petit et aimait à raconter ses misères, concluant toujours de la même façon:
- Bien vrai, je n'ai jamais eu de chance!
D'ailleurs, cette humeur noire ne l'avait pas rendu meilleur. Il était grincheux, irascible et jaloux. Sa première réflexion, quand il avait vu Achille à la sortie de la messe, avait été:
- Ce n'est pas à moi que cela arriverait!
Et depuis il détestait Achille, qui avait été jusque-là son compagnon d'infortune et son ami. Il allait même jusqu'à insinuer qu'il avait fait un pacte avec le diable et que, si son corps était redressé, son âme était perdue.
Célestin n'arrêtait pas de songer à ce qui s'était passé près du pont de Vaux-Chatru et il finit par se convaincre qu'il pourrait obtenir lui aussi la faveur des sorciers. Il se laissa même aller à voir l'avenir sous une couleur moins noire que d'habitude. Il fit des projets:
- Ce sera la belle vie, pensait-il. Je serai solide, bien bâti et je pourrai travailler comme un homme. Je n'aurai que l'embarras du choix pour prendre une bonne femme, qui me fera ma soupe. Oui, ce sera la belle vie!
Et, très vite, sa mauvaise nature lui soufflait:
- Je serai riche... Je serai puissant. Je pourrai à mon tour humilier les faibles et me venger... oui, me venger.
Animé de tels sentiments, il se rendit au pont, le samedi suivant, un peu avant minuit. Quand il arriva, le sabbat était commencé, les feux allumés et la danse battait son plein. Il écouta un moment, puis entendit le refrain, dont avait parlé le talleur:
"C'est demain dimanche!
C'est demain dimanche!"
Aussitôt, il s'arma de courage et cria:
" Et après-demain lundi!"
Il fut aussitôt entouré, bousculé et il dut entrer dans la ronde. Il tâcha de chanter aussi, bien qu'il n'en eût pas l'habitude. Quand la ronde fut finie, Célestin vit au pied d'un saule la bosse du tailleur et il se réjouit à l'idée que la sienne y serait bientôt aussi. Le chef lui dit, l'air joyeux:
- Bossu, tu chantes faux.
- Je fais ce que je peux, répondit Célestin qui répétait mot pour mot les paroles du tailleur, sans se rendre compte que cette fois la phrase pouvait paraître insolente ou tout au moins peu aimable.
Le chef ne s'en émut pas, il prit la bosse du tailleur, tourna autour du bossu et, pour finir, la lui appliqua sur le dos, où elle demeura. Il fut ainsi bien bossu, par-devant et par derrière. Il chercha à protester.
- Mais, ce n'est pas de jeu, fit-il...
On lui fit comprendre très vite qu'il aurait tort d'insister, et que les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Il se sauva en grognant et naturellement, le lendemain, il n'eut aucune envie d'aller se pavaner dans la grand'nef. Il entendit les cloches sonner, vit les gens de Fontenois aller à la messe et parmi eux Achille en habit de fête. Il rumina sa rancoeur, murmurant d'une voix remplie à la fois de col? et de tristesse:
- Bien vrai, je n'ai jamais eu de chance.
Et c'est ainsi que Célestin apprit, à ses dépens, qu'il ne fallait pas trop compter sur l'obligeance des sorciers.

Jean Defrasne - Contes et Légendes de Franche-Comté

Bisous

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