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 Les deux plumes

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Joa
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Joa


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MessageSujet: Les deux plumes   Les deux plumes EmptyDim 15 Avr - 10:10

La conversation, paresseuse dans ce mess d'officiers, après avoir longtemps traîné, s'anima et acheva trop vite la soirée.
Le commandant parla de ce sens inné et primitif que possèdent les paysans, favorisés de perception intuitivesz qui les avertissent de tous les évènements graves. Et, comme toujours avec ce genre d'histoire, chacun témoigna de cas étranges.
- mais, trancha à son tour un capitaine au scepticisme bourru, vous nous parlez là de gens frustres et superstitieux qui, le plus souvent, sur de simples coïncidences, s'abandonnent à l'accablement de l'intersigne, retrouvant et gonflant a posteriori dix raisons possibles d'avoir pressenti le drame ! Croyez-moi, s'il leur fallait vous donner une preuve formelle et vérifiable, ils seraient bien embarrassés.
- Peut-être, peut-être... sembla approuver le commandant, mais je puis vous affirmer que, dans le même genre de prescience, certains emploient des procédés empiriques qui relèvent de la plus évidente magie et provoquent des prodiges que l'on croit réservés aux seuls contes de fées, mais qui sont ici facilement contrôlables. Si vous le voulez bien, je vais vous raconter ce que j'ai constaté moi-même, en 1917, dans une ferme de l'Ille-et-Vilaine. Et, tout d'abord, comment je fus lié à cette affaire...
J'étais alors lieutenant et faisais corps avec mon détachement, vautré dans la même boue que mes hommes, partageant avec eux, à part égale, peines et parasites. Nous "tenions" devant le bois de la Guerie, en Argonne, face à d'intenses harcèlements que nous rendions sans pitié, mais les payant très cher, à la gran de joie de la Mort, seule gagnante.
Mes deux caporaux, jeunes terriens, agissaient comme avec un troupeau à guider et me secondaient mieux que mes propres bras en obtenant une harmonieuse discipline qui était déjà une victoire. De plus, nous étions pays, tous trois, bretons comme larrons.
Ils étaient frères, sans se ressembler de physique ni de caractère. L'un, Armand, maigre et voûté à vingt-cinq ans comme un vieux fureteursz de terrierrs, silencieux et toujours à flairer, savait autant ruser avec l'humeur des nôtres qu'avec celle des Allemands qu'il ressentait avec une intuition fortement développée. La guerre semblait lui convenir et il s'en accomodait comme d'une expérience profitable, sorte d'interminable partie de braconnage.

L'autre, Julien, rond et jovial, à qui une soutane eût fait obtenir la première cure disponible, rassurait et le savait, ne s'économisant pas en conseils, consolations ou encouragements ; patientb à écouter les confessions de tous et leur donnant l'absolution d'un claironnant "ça va s'arranger, ton histoire !" complété d'une solide bénédiction en forme de tape dans le dos. Mais la guerre ne convenait pas à celui-là et je savais par ses confidences que, plus elle allait, moins il se sentait tranquille dans cette preau de tueur souriant.
- Tout ça finira mal pour moi, mon lieutenant, maugréait-il, sans se donner la peine de s'offrir un coup de son propre "ça va s'arranger ton histoire".
Et il ajoutait, perplexe et mystérieux :
-... Tenez, mon lieutenant, si seulement je pouvais jeter un oeil chaque matin chez nous, dans l'armoire aux linges, ça m'aiderait et me mettrait dans le bon vent pour toute la journée...
Et il sortait l'énorme portefeuille qui lui faisait un sein sous la vareuse. Portefeuille boudiné, à croire celui d'un maquignon après la vente d'une paire de boeufs, mais riche seulement de lettres laissées avec leur enveloppe comme des noix dans leur coquille afin qu'elles y conservent leur saveur ; et aussi une large photo de toute la famille collée sur un carton frappé du nom d'un photographe de Redon et pliée en deux avec une terrible cassure au dos.
Il en extirpait alors une enveloppe de papier bulle, close et plus froissée que les autres, et me montrait en transparence son contenu, un léger renflement sombre : "Mon lien avec chez nous, mon lieutenant." Et il la humait sans joie.
Chaque fois intrigué, je le questionnais, voulant en savoir davantage sur cette enveloppe si secrètement gardée dont je crois avoir été le seul à connaître l'existence. A part, bien sûr, son frère Armand qui, d'ailleurs, possédait aussi la sienne et dont la plus vive plaisanterie consistait à faire croire à Julien atterré qu'il l'avait perdue.
Un matin, au début d'une attaque d'aube, la veille de redescendre au repos, d'où pour ma part et selon ma chance de survie je devais partir en permission, mon bon Julien fut en un clin d'oeil foudroyé et dépiauté par un schrapnel qui l'nfonça, écorché vif, en pleine boue. Une mort horrible, là; au milieu de nous qui fûmes aussitôt recouverts et sauvés d'autres éclats grâce à cette terre sanglante.

Quelques jours après j'étais au pays et, bien que décidé à ne pas me rendre chez les "Vieux" de Julien avant que la maréchaussée n'eut accompli la dure corvée de leur apprendre la triste nouvelle, je ne sais comment je me trouvai frappant à la porte de leur ferme.
C'est la mère, maigre et osseuse, dont Armand était la réplique exacte, qui vint m'ouvrir. A son abattement extrême, je compris qu'elle savait déjà. Je fus soulagé, mais surpris de cette exceptionnelle rapidité d'information car, habituellement, le chemin administratif était bien plus long.
Je me fis connaître et, gardant sa main dans la mienne, je lui dis la fin héroïque de son fils, évitant de lui décrire cette boucherie.
- Alors, son merle a donc dit vrai ? murmura-t-elle en chancelant.
Et, comme une louve blessée, elle courut partout dans la ferme hurler la mort de Julien, que j'étais, je le compris soudain, le premier à lui apprendre.
Ce ne fut qu'après la réunion de toute la famille, appelée des champs et venue dans la salle, mère te filles, à gémir ou à se griffer les joues ; hommes, père et domestiques, à serrer les poings et à chasser de pesantes larmes, que l'on me redécouvrit dans le coin où je me tenais effacé. Je n'étais pas tant bouleversé par cette douleur collective, mais par toutes celles, innombrables, naissant à chaque instant des milliers de morts renouvelées qui, au front, nous troublaient juste le temps de leur spectacle et auxquelles nous ne pensions plus ensuite.
Le père me fit signe de le suivre dans une chambre ou deux lits sentaient suffisamment la poussière et la tristesse pour me donner à comprendre que c'était celle des fils soldats.
Je vis la grande armoire aux linges, si souvent évoquée par Julien. Massive et plaquée au mur, elle paraissait supporter toute la bâtisse. Les battants étaient maintenus grands ouverts par un banc mis conttre. Le père tendit sa main tremblante vers deux des étagères débarrassées de linge et grillagées d'un treillis de fil de fer. A l'intérieur de l'une de ces cages inattendues, se trouvait un merle qui, à notre arrivée, s'anima de vifs sauts et se heurta violemment aux parois. Dans l'autre geôle gisait la dépouille d'un second merle, crevé, ailes déployées et griffes ramenées comme dans une violente lutte. Un caillot lui tenait le bec ouvert. les alvéoles du grillage étaient parsemées de ses plumes sanglantes.

- C'était le merle à Julien, me dit le père, d'une voix sourde ; on le gardait ici pourn qu'il nous montre la santé du gars qui portait sur lui une de ses plumes. Chez nbous c'est par là qu'on sait comment vont ceux qui sont au loin à courir des risques. Depuis quelque temps il restait dans un coin à grelotter, mais le mardi soir de la semaine dernière, il s'est mis à tourner en rond comme fou et à se jeter sur le grillage. Il a dû le faire toute la nuit. Le lendemain matin on l'a trouvé comme vous le voyez là. On n'a pas voulu croire et jusqu'à maintenant on avait l'espoir. Dites, mon lieutenant, notre petit ne s'est pas débattu dans les douleurs toute la nuit, comme son merle ?
J'eus un geste pour le rassurer. Alors, me montrant l'autre captif, il retrouva une voix plus ferme :
- ... Celui-là, il est à Armand. Regardez comme il est vif et sain. On le verrait sauter de branche en branche. Il est ferme, pas besoin de regarder de près. On ne se fait pas de mauvais sang pour lui. Il doit trotter et siffler, l'Armand. Pas vrai, mon lieutenant ?
A ce moment, la mère vint nous rejoindre mais le père, ne voulant sans doute pas qu'elle s'attriste davantage, l'obligea à repartir. Me trouvant seul, j'eus un geste que je ne pus réprimer et qui, sans doute, voulait me rassurer. J'ouvris la porte aménagée dans le treillis et réussis à saisir l'oiseau d'Armand pour me réconforter avec la forte vitalité de mon compagnon. Mais, en serrant ce merle lié à son existence, je sentis qu'un rien pourrait le vaincre. Il n'était sain que d'aspect, seulement gras de plumes. Souffreteux, il dépérissait mais, en désir de liberté, trompait par son ardeur à vouloir fuir cette malsaine claustration.
Je le rentrai hâtivement, le père revenait.
Et je partis soucieux.
Vous étonnerai-je, messieurs, si je vous affirme que ce garçon inusable eut le même sort que son merle ? Il traînait un mal de poitrine et fut emporté par une phtisie galopante, deux mois après ma visite à ses parents... Mais, avec ce genre de magie rustique, parfois sournoise, allez savoir lequel entraîna l'autre dans son destin ?

Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de France.
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