De mon temps, tout le monde était cultivateur. Même les artisans avaient leur coin de terre. On filait la laine et le chanvre le soir à la lueur du calel. Le tisserand fabriquait la toile et la bure pour chaque maisonnée et le tailleur, pour douze sous par jour, venait coudre les habits à domicile.
Les tailleurs étaient gourmands et toute ménagère avait à coeur de bien les traiter. Leur passage était une petite fête.
Un jour, Fournet, le tailleur, cousait dans une métairie qui avait une réputation d'avarice.
- Pauvre homme, lui dit la métayère, la récolte est si maigre cette année que je n'ai pas grand-chose à vous donner.
Fournet leva les yeux sur les solives noires.
- Ne vous inquiétez pas, répondit-il, je vois que vous avez là-haut de la laine à enquenouiller. C'est mon grand régal en salade et je crois que j'en aurai avec tout ce que j'aperçois.
La femme, affolée à la pensée de voir manger sa laine, ouvrit le placard et bientôt la tourtière gloussa devant la cheminée.
Le soir du même jour, il alla coudre dans une autre ferme. La fermière lui dit :
- Voyez donc le beau poulet qu j'ai mis pour vous dans la tourtière.
Fournet regarda la volaille grasse et dorée. mais un poulet, c'était peu pour son appétit !
- de quelle couleur etait-il ? demanda-t-il à la fermière, sur un ton perplexe.
- Il était noir.
- Ah ! quel malheur ! Je n'aime que les poulets blancs ! Les noirs me font mal, je ne peux les souffrir.
- Qu'à cela ne tienne, dit la fermière, je vais en tuer un autre.
Une fois le second poulet tué et cuit, Fournet demanda :
- Quel était le blanc ? Quel était le noir ?
Et il les mangea tous les deux.
Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de France