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 La flûte du berger Meyot

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Joa
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Joa


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MessageSujet: La flûte du berger Meyot   La flûte du berger Meyot EmptyVen 11 Aoû - 8:03

1

Vous qui êtes grands, n'abusez pas de la faiblesse des petits ; le plus simple des oiseaux a des protecteurs invisibles ; le plus chétif des enfants peut trouver tôt ou tard le moyen de punir ceux qui le font souffrir.
Il y avait une fois un homme et une femme qui n'avaient jamais eu d'enfants, malgré tous les devins consultés, les pélerinages exécutés à Garaison, à Bétharram et à Saint-Bertrand-de-Comminges. Il est vrai qu'ils s'étaient toujoutrs montrés fort exigeants dans leur prières ; ils voulaient posséder le garçon le plus spirituel qu'on eût vu sur la terre depuis la mort du beau David.
Arrivés au terme fatal où tout espoir doit s'évanouir ils modérèrent leur ambition, et se contentèrent de demander au ciel un enfant, quel qu'il pût être, ne fût-il que la moitié d'un homme de cinq pieds.
Le destin fut satisfait de cet acte d'humilité : quelques mois après, un garçon naissait dans la maison jusqu'alors maudite ; mais il était si petit, si petit qu'on lui donna le nom de Meyot, c'est-à-dire moitié d'homme. Il fut sagement inspiré, l'auteur de ce baptême : arrivé à quinze ans, l'enfant n'était pas plus haut, qu'un chien de garde, et ses parents comprenaient bien qu'il devrait passer sa vie à pacager le bétail comme simple berger.
Hâtons-nous d'ajouter qu'il ne manquait ni d'activité ni d'intelligence ; aussi fut-il aisé de le placer dans une grande métairie, où il eût à garder une vingtaine de bêtes à cornes... Il ne faut pas juger des choses sur les apparences... Meyot s'aperçut bientôt que la place était assez mauvaise ; le bordier et la bordière n'étaient pas moins avares que bizarres, et l'enfant passait les journées à recevoir des gronderies accompagnées de quelques coups. Encore, si la nourriture lui avait offert un certain dédommagement ; mais du pain moisi et de la soupe sans lard ni graisse achevaient de rendre la position du berger aussi peu tolérable que celle de l'enfant prodigue dans la garderie des poiurceaux.
Grâce à Dieu tous les jours ne se ressemblent pas ; la lune change d'aspect tous les soirs, et Meyot eut à son tour son bon quartier de lune.

Un jour qu'il gardait les vaches sur les bords d'un ruisseau, Meyot aperçut une petite vieille de sa taille, qui cherchait un gué afin de traverser à pied sec :
- Petit berger qui garde les vaches ! cria-t-elle d'une voix aussi grêle que celle du roitelet, ne pourrais-tu m'aider à franchir le courant ?...
Meyot s'empresse d'accourir ; il relève ses chausses, fait monter la petite vieille sur ses épaules, passe le ruisseau et la dépose sur l'autre bord.
- Vous m'avez rendu grand service, mon petit ami, lui dit la vieille en lui faisant la révérence, que pourrais-je vous donner en paiement ?
- Absolument rien, répond Meyot ; je fais le bien par plaisir, et ne demande jamais de récompense ; ma grande pauvreté ne saurait servir d'excuse à mon avarice.
Cette générosité augmente ma reconnaissance ; formez un souhait, un désir ; je m'empresserai de les satisfaire.
- Si vous voulez remplir un de mes désirs, bonne femme, procurez-moi une petite flûte, afin que je fasse danser les bergers et les bergères au pâturage ; la maison que j'habite est si triste qu'il me serait doux de prendre quelque délassement quand je suis loin de la surveillance de mes maîtres.
- Ton ambition est naturelle et modeste, je serai heureuse de te contenter. Voilà la flûte, répondit la vieille en la tirant de son corsage ; cet instrument est à ce point merveilleux que nul être vivant ne pourra l'entendre sans se mettre à danser jusqu'à ce qu'il te plaise d'en arrêter les sons.
La petite vieille disparaît, et Meyot s'empresse d'essayer l'instrument, afin de constater la réalité des dons que la vieille y a attachés... Il porte la flûte à la bouche, il souffle ; aussitôt les boeufs dressent la tête, les vaches cessent de brouter ; ils se regardent les uns les autres, s'ébranlent, sautent, gambadent, et commencent enfin cette ronde générale que les animaux n'ont coutume de se permettre que dans les journées brûlantes de l'été, lorsque les piqûres des taons les font courir à travers les champs et les fondrières. Meyot, plus heureux qu'il ne pouvait l'espérer, finit par craindre de les voir se lancer dans la rivière ; il renferme sa flûte sous sa veste, et se promet d'en jouer plus d'une fois, mais après avoir choisi le moment opportun.
Un coup de fusil retentit tout à coup à ses oreilles ; il se retourne : M. le maire venait de tirer aux ramiers... Or, maître Meyot avait eu maille à partir avec M. le maire, au sujet d'une vache qui s'était permis de pénétrer dans sa basse-cour, et pour laquelle le berger avait dû payer douze sols de dommages.

- Pourrais-tu me dire si j'ai touché les ramiers ? demanda le chasseur au petit joueur de flûte.
- Assurément, monsieur le maire : vous êtes trop habile tireur pour manquer votre gibier.
- Où donc est-il tombé, mon ami ? La fumée ne m'a pas permis de le voir...
- Dans ce buisson de houx, monsieur le maire.
Le maire s'avance dans le buisson :
- Je ne vois rien, mon cher Meyot.
- Encore quelques pas dans le fourré, et vous mettrez la main dessus.
Le maire écarte péniblement les broussailles et pénètre plus avant ; dès qu'il est bien engagé dans les ronces, Meyot prend sa flûte, joue le Qu'in ten ba l'aoueillado l'aouellé ... et voilà M. le maire qui, malgré sa bonne envie de rester tranquille au milieu d'un semblable fourré, se met à danser le rondeau dans les épines.
- Qu'est-ce que... ? Aïe ! miséricorde !... le Diable est donc caché dans le buisson ? Mes pauvres mains ! ma pauvre figure !...
Il aurait été mis en lambeaux comme saint Barthélémy, si Meyot, satisfait de cette vengeance, n'avait rentré l'instrument fatal dans sa poche et porté secours à l'écorché.
Pendant que le maire aller se laver à la fontaine, sans avoir trouvé son ramier, Meyot ramenait les bestiaux à la métairie, afin de prendre son déjeuner. La bordière trempait les armotes (bouillie de farine de maïs) dans une douzaine de berrets (petites assiettes en forme d'écuelle) disposés, selon l'usage, autour du pot placé au milieu de la cuisine. Au bruit des sabots du berger, la mégère lui paie son contingent ordinaire d'injures, le traite de paresseux, de vaurien qui fait mourir le bétail de faim en le renfermant trop tôt, et promet de ne pas lui donner sa part de bouillie, et moins encore sa ration de soupe.
- Si tu ne m'en donnes pas, tu pourrais bien ne pas en manger toi-même, pensait Meyot, sans oser le dire.
Le bordier, rentrant aussitôt, ajoute ses gronderies à celles de sa femme ; Meyot est traité, pour la seconde fois, de paresseux, de propre à rien, et l'on décide qu'il n'aura pas même de pain à son dîner.

- Si vous ne m'en donnez pas, vous pourriez bien ne pas en manger vous-mêmes, dit-il, assez haut cette fois pour être entendu ; et, prenant sa flûte, il joue son Qu'in ten ba l'aoueilladou l'aouellé, sur le ton le plus bruyant de son instrument. Aussitôt la femme et le mari se prennent, bien malgré eux, à danser un rondeau, qu'ils n'avaient pas essayé depuis le jour de leurs noces ; la bordière, encore accroupie et la cosse à la main, saute sur les plats de bouillie qu'elle met en mille pièces ; le métayer, en sabots, fait subir le même sort au chaudron, et finit de pulvériser la vaisselle. La bouillie répandue ne forme plus qu'un bourbier blanchâtre, sali de poussière et de boue, et les danseurs furieux continuent à la piétiner sans relâche.

2

Pendant que Meyot remet son instrument dans sa poche, afin de rire à coeur joie du spectacle de sa petite vengeance, M. le maire paraît sur le seuil, tout égratigné par les caresses du buisson de houx ; le berger prend la fuite vers l'écurie...
- Qu'est-ce donc que ceci, demande M. le maire, attiré par le bruit, qui peut vous pousser à faire un semblable fracas !... Des bordiers d'une sagesse et d'une économie proverbiales qui brisent leur vaisselle et mettent la bouillie sous leurs pieds !...
- Ah ! monsieur le maire, une maudite flûte, jouée par le Diable sans doute, nous a mis dans les jambes une démangeaison de gambades qu'il nous a été impossible de maîtriser... Mais vous-même, monsieur le maire, d'où venez-vous, ainsi couvert de sang et d'égratignures ?
- Ah ! mes amis, je dirai comme vous ! une maudite flûte, jouée par Belzébut, probablement, m'a mis en danse, malgré moi, au milieu d'un buisson d'épines.
- Connaissez-vous le joueur de cet instrument diabolique ?...
- C'est votre Meyot, mes amis ! un effronté coquin, que je vais de ce pas dénoncer à la justice...
- Notre Meyot ! ah, monsieur le maire ? N'est-ce pas qu'il mériterait d'être emprisonné, pour avoir de si bons maîtres dans une semblable confusion ?...
- Vous voulez dire d'être pendu, pour s'être ainsi moqué de M. le maire !...
L'effet suivit de près cette double menace : Meyot, dénoncé comme coupable d'injures et de mauvais traitements envers son maître et le magistrat municipal, fut arrêté par ordre du bailli, mis en prison, interrogé, condamné à danser à son tour au bout de la corde qui sert d'ornement à la potence.

Le jour fatal de l'exécution arrive, le bourreau dresse l'échafaud sur la place publique. Le bordier, la bordière, M. le maire, voulant bien s'assurer qu'il soit pendu, prennent position aux meilleures places. Tout est préparé pour l'exécution avec l'attention la plus méticuleuse : Meyot a les mains attachées ; quatre hommes de la maréchaussée lui servent d'escorte ; la corde et la potence sont faites tout exprès pour la cérémonie. On n'avait oublié qu'un point : celui de retirer sa flûte au coupable. Arrivé sur l'échafaud, Meyot prie le bourreau de lui permettre de faire sa prière ; l'exécuteur des hautes oeuvres, qui gagnait le pain de ses enfants en faisant tirer la langue aux gens au haut d'une perche, était assez bonhomme, en dépit de son métier ; il écouta la prière de Meyot, en se disant : "Il est fâcheux, après tout, d'avoir à pendre un homme dont le seul crime est d'avoir joué de la flûte lorsque personne ne l'en priait."
Meyot s'agenouille ; pendant que l'exécuteur graisse la corde, la patient porte la flûte à sa bouche et souffle son terrible Qu'in ten ba l'aoueillado l'aouellé.
Aussitôt, bourreau, maréchaussée, maire, bordier et bordière se mettent à danser le rondeau furibond. Le bourreau, renversé du haut de l'échafaud se casse le bras et se démet la jambe ; le bordier se tourne le pied, la bordière tombe sur les dents et se brise les incisives ; le maire veut s'appuyer contre un arbre, il rencontre une cheville placée dans le tronc pour tendre les cordes à faire sécher le linge. La cravate s'y prend ; et comme il continue à danser, le noeud serre, serre de façon à lui faire tirer la langue... Qu'allait-il arriver, bon Dieu ? Meyot soufflait toujours... Par bonheur (on a beau se plaindre du sort, le bonheur se mêle de toutes les affaires), la petite vieille du ruisseau apparaît tout à coup près du musicien implacable :
- Prenez-lui la flûte ! retirez-lui cet instrument damné !... s'écrient la bordière et le bourreau.
M. le maire tirait la langue...
- Pourquoi le lui reprendrais-je ? répondit la fée... Ma flûte ne fait danser que les mortels affectés de quelque vice bien tenace tel que l'avarice, l'acrimonie... Qu'il ne reste ici que des hommes justes et charitables, Meyot pourra jouer impunément de son instrument : aucune jambe ne se permettra de battre des entrechats.

Malgré les paroles rassurantes de la fée tout le monde dansait encore... La bordière commence à promettre de ne plus refuser à Meyot la nourriture qui lui est due : aussitôt elle cesse de sauter. Le bordier jure de ne plus le quereller et le battre ; il s'arrête sur ses pieds. Le maire assure qu'il ne fera plus payer de dommages pour un boeuf qui traversera innocemment sa basse-cour : sa cravate se dénoue ; il respire à l'aise... Le bourreau crie bien haut qu'il ne s'amusera plus à étrangler personne : il cesse de sauter par enchantement. Après de semblables promesses, Meyot, délivré des cordes qui le tenaient garotté, fut rappelé à la métairie ; le bordier lui pardonna de l'avoir fait danser ; Meyot lui pardonna d'avoir voulu le faire pendre... Cependant la fée, n'osant compter sur la correction définitive des vieux pêcheurs, s'occupe des moyens d'assurer l'observation de leurs engagements : elle attache à la flûte enchantée la propriété de ne pouvoir être enlevée du gousset du berger ; les plus mutins sont maintenus dans la nécessité de rester généreux et tolérants, par la crainte de voir Meyot emboucher de nouveau le flageolet redoutable. La peur fut souvent la meilleure sauvegarde de la probité ; chacun se tint sur le qui-vive. On assure, toutefois, que Meyot dut plus d'une fois tirer l'instrument de son étui ; mais sa vue suffisait pour inspirer une crainte salutaire. Il ne fut plus obligé de faire danser le maire dans les épines, les propriétaires sur leur vaisselle ; il put garder paisiblement son bétail. La bordière ne fit plus de bouillie sans lui en donner ; il eut sa soupe chaque jour, et son morceau de poule au pot chaque dimanche. Tous les avares ont-ils été corrigés par l'aventure de Meyot ?

Cénac-Moncaut, Contes, récits et légendes de France
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