Il était une fois un rat et une rate.
Le rat s'en étant allé au bois pour qu'ri un fagot, la rate se mità tremper la soupe, mais elle se pencha sur la marmite et tomba au fond.
Le rat revient, pose son fagot et appelle la rate : "Rate ? Rate ?..." Point de rate. Il cherche partout et ne la voit point.
- Elle sera allée tailler une bavette avec la voisine, se dit-il. Si je trempais la soupe en attendant.
Il se mit à tremper la soupe et trouve le corps de la pauvre rate au fond de la marmite.
- Ah ! que j'ai de malheur, s'écrie-t-il, en s'arrachant les moustaches de désespoir.
Et il se prit à crier.
Le chat l'entendit et lui dit :
- Rat, Rat, pourquoi tu cries ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le rat : ma rate est tombée au fond de la marmite, et moi je crie.
- Eh bien ! dit le chat, moi je vais danser avec la souris.
Et le chat se prit à danser avec la souris.
La table voyant danser le chat, lui dit :
- Chat, Chat, pourquoi tu danses avec la souris ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le chat : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, et moi je danse avec la souris.
- Eh bien ! moi, je vais m'allonger, dit la table.
Et la table se prit à s'allonger.
Le banc voyant s'allonger la table, lui dit :
- Table, table, pourquoi tu t'allonges ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit la table : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris et moi je m'allonge.
- Eh bien ! moi, je vais sauter dit le banc.
Et le banc se prit à sauter.
L'horloge voyant sauter le banc, lui dit :
- Banc, banc, pourquoi tu sautes ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le banc : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge et moi je saute.
- Eh bien ! moi, je vais sonner sans arrêt, dit l'horloge.
Et l'horloge se prit à sonner sans arrêt.
Le chien qui dormait près du foyer s'éveilla en entendant sonner l'horloge.
- Horloge, horloge, pourquoi que tu sonnes sans arrêt ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit l'horloge : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge, le banc saute, et moi je sonne sans arrêt.
- Eh bien ! moi, je vais aboyer, dit le chien.
Et le chien se prit à aboyer.
Le renard l'entendit :
- Chien, chien, pourquoi que tu aboies ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le chien : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge, le banc saute, l'horloge sonne sans arrêt et moi j'aboie.
- Eh bien ! moi, je vais glapir, dit le renard.
Et le renard se prit à glapir.
Le loup l'entendit.
- Renard, renard, pourquoi que tu glapis ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le chien : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge, le banc saute, l'horloge sonne sans arrêt, le chien aboie, et moi je glapis.
- Eh bien ! moi, je vais hurler, dit le loup.
Et le loup se prit à hurler.
Le serpent l'entendit :
- Loup, loup, pourquoi que tu hurles ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le chien : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge, le banc saute, l'horloge sonne sans arrêt, le chien aboie, le renard glapit et moi je hurle.
- Eh bien ! moi, je vais siffler, dit le serpent.
Et le serpent se prit à siffler.
La cloche l'entendit :
- Serpent, serpent, pourquoi que tu siffles ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le chien : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge, le banc saute, l'horloge sonne sans arrêt, le chien aboie, le renard glapit, le loup hurle, et moi je siffle.
- Eh bien ! moi, je vais tinter, dit la cloche.
Et la cloche se prit à tinter.
Le vent l'entendit :
- Cloche, cloche, pourquoi que tu tintes ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le chien : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge, le banc saute, l'horloge sonne sans arrêt, le chien aboie, le renard glapit, le loup hurle, le serpent siffle, et moi, je tinte.
- Et bien ! moi, je vais gémir, dit le vent.
Et le vent se prit à gémir.
Le chêne l'entendit :
- Vent, vent, pourquoi que tu gémis ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le chien : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge, le banc saute, l'horloge sonne sans arrêt, le chien aboie, le renard glapit, le loup hurle, le serpent siffle, la cloche tinte et moi je gémis.
- Eh bien ! moi, je vais me tordre, dit le chêne.
Et le chêne se prit à se tordre.
La feuille l'entendit :
- Chêne, chêne, pourquoi tu te tords ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le chien : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge, le banc saute, l'horloge sonne sans arrêt, le chien aboie, le renard glapit, le loup hurle, le serpent siffle, la cloche tinte, le vent gémit, et moi je me tords.
- Eh bien ! moi, je vais tomber, dit la feuille.
Et la feuille se prit à tomber dans l'eau de la fontaine miraculeuse.
La fontaine la vit tomber :
- Feuille, feuille, pourquoi que tu tombes ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le chien : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge, le banc saute, l'horloge sonne sans arrêt, le chien aboie, le renard glapit, le loup hurle, le serpent siffle, la cloche tinte, le vent gémit, le chêne se tord et moi je tombe.
- Eh bien ! moi, je vais me tarir, dit la fontaine.
Et la fontaine se prit à se tarir.
La belle enfant s'en vint avec sa cruche puiser de l'eau à la fontaine miraculeuse pour sa mère malade ; mais, la fontaine était tarie.
- Fontaine, fontaine, pourquoi que tu es tarie ?
- - Il est arrivé un grand malheur, dit le chien : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge, le banc saute, l'horloge sonne sans arrêt, le chien aboie, le renard glapit, le loup hurle, le serpent siffle, la cloche tinte, le vent gémit, le chêne se tord, la feuille tombe et moi je me taris.
- Eh bien ! moi, je vais pleurer, dit la belle enfant.
Et la belle enfant se prit à pleurer.
La fée Mélusine vint à passer :
- Belle enfant, belle enfant, pourquoi pleures-tu ?
- Il est arrivé un grand malheur, dit le chien : la rate est tombée au fond de la marmite, le rat crie, le chat danse avec la souris, la table s'allonge, le banc saute, l'horloge sonne sans arrêt, le chien aboie, le renard glapit, le loup hurle, le serpent siffle, la cloche tinte, le vent gémit, le chêne se tord, la feuille tombe, la fontaine se tarit, et moi je pleure parce que je ne puis pas remplir ma cruche.
- Eh bien ! moi, je ne veux pas que tu pleures, dit Mélusine.
Et Mélusine se rendit chez le rat ; elle toucha le corps de la rate de sa baguette magique et la rate se revîla.
En voyant revivre sa rate, plus le rat ne cria, et plus le chat ne dansa avec la souris, plus la table ne s'allongea, plus le banc ne sauta, plus l'horloge ne tinta, plus le chien n'aboya, plus le renard ne glapit, plus le loup ne hurla, plus le serpent ne siffla, plus la cloche ne tinta, plus le vent ne gémit, plus le chêne ne se tordit, plus la feuille ne tomba, plus la fontaine ne se tarit, et plus ne pleura la belle enfant qui rempli sa cruche à la fontaine pour porter de l'eau miraculeuse à sa mère malade.
Francine Poitevin, Contes, récits et légendes des pays de France
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