Jean-le-sot en Angoumois

Un matin de mai, par un soleil qui appelait les cultivateurs aux champs, le père de Jean-le-Sot dit à son fils :
- Tu vas déjeuner et tu iras semer des monghettes à la grande pièce. J'en ai pesé cinq livres. En te pressant un peu tu auras peut-être fini à midi. Tu sais qu'il nefaudra pas en mettre plus de deux ou trois grains par trou. Tu as compris ?
- Oui, papa !
Jean-le-Sot partit, avec son panier aux haricots, et sa bêche sur l'épaule ; en route, il songeait qu'il satisferait aux ordres de son père.
En arrivant au champ désigné, il trouva l Jacquille qui gardait ses brebis ; elle lui fait signe de s'asseoir un instant, qu'elle lui raconterait une histoire.
Jean-le-Sot, très flatté de l'invitation, accepta, et l'histoire fut sans doute longue, car il y avait bien une heure que la conversation durait.
Tout à coup, Jean-le-Sot pense à la recommandation du père, se lève pour effectuer le semis de haricots, en disant :
- Je n'aurai jamais le temps de faire ce travail avant midi.
- Je vas te donner un conseil, dit la Jacquille : fais un trou assez profond avec ta bêche, et verses-y tous les haricots, tu recouvriras avec de la terre et le tour sera joué.
Jean-le-Sot fit comme le lui avait conseillé la jeune bergère, et rprit le chemin de la maison.
En le voyant si vite de retour, le père lui dit :
- As-tu semé dans tous les sillons ?
- Non, papa ! je les ai tous mis dans un trou pour avoir plus vite fait, car la Jacquille m'a retenu à causer.

- Tête de sot, lui dit le père. J'ai bien du malheur d'avoir un enfant semblable.
"Tu vas déjeunr, tu retourneras au champ, tu sortirs les haricots.
Mais, en arrivant, lezs haricts avaient disparu, et Jean-le-Sot revint à la maison Gros Jean comme devant. On l'envoya au lit sans souper.
Le lendemain, un voisin qui avait vu ce qu'abvait fait Jean-le-Sot et qui avait ramassé les haricots, les rapporta à son père. Ainsi la semence ne fut pas perdue.

(Conte de la région d'Agris)

La mère de Jean-le-Sot était partie à la foire pour vendre des écrevisses ; elle laissait Jean-le-Sot et sa soeur à la maison, et n'avait pas manqué de faire à ses enfants d'abondantes recommandations :
- Surtout, n'ouvrez pas le coffre aux anguilles !
La recommandation était inutile, car dès que sa mère eut le dos tourné, jean-le-Sot souleva le couvercle du coffre et voilà les anguilles qui se mettent à courir, à se tordre sur le plancher de la cuisine. jean-le-Sot et a soeur les poursuivent, et une lutte s'engage entre les anguilles lisses qui se faufilent et sont insaisissables, et les enfants. Ils ont si chaud que quand ils ont terminé avec cette maudite espèce, Jean-le-Sot dit à sa soeur :
- Pour nous remonter lecoeur, si nous prenions une prune ?
Ils s'en vont chercher le bocal où leur mère a mis les prunes dans la bonne eau-de-vie. Ils en mangent une, puis deux, puis trois, et Jeannette, tout d'un coup, ne sent plus ses jambes et va s'allonger sur un banc au soleil. Elle est ivre-morte !
Jean-le-Sot la secoue et ne peut rien en tirer. Alors, il regarde le bocal qui est au quart vidé, et il craint les remontrances maternelles. Le mieux est de vider le bocal, la mère ne s'apercevra de rien. Et il s'en va vers le toit à cochons et vide les prunes dans la mangeoire à brenée. Les cochons dévorent les prunes et boivent l'eau-de-vie. ils se régalent, mais au lieu dce leur remonter le coeur, l'alcool les fait choir sur leur derrière, ils tombent tous de cul.
Alors, Jean-le-Sot va vider les prunes qui restent, aux poules dévorantes qui se jettent sur les fruits et tombent aussi de cul. Toute la ferme est endormie quand la mère de Jean-le-Sot rentre du marché. Elle a chaud et pense à se remonter le coeur avec une prune, mais Jean-le-Sot, qui est le seul à être veillé, dit :
- Il n'y en a plus !
- Mais le bocal était plein !
- Jai tout donné aux cochons.
Et la mère de Jean-le-Sot découvre sa fille endormie, ses cochons et les poules ivres morts.
- Ah ! pauvre drôle, tu seras donc toujours Jean-le-Sot !...

(Conte de la région de Saint-Angeau.)

La mère de Jean-le-Sot et son fils aîné, Jean-le-Fin, sont partis aux champs. Jeannette dort, et sa mère a bien recommandé à Jean-le-Sot de chasser les mouches qui pourraient la tracasser ; il faut aussi qu'il veille aux graines de millet qi sont à sécher sur les lattes.
Il fait chaud et Jean-le-Sot a soif ; il va au chai, à la barrique, et tire du vin dans un potet. Pendant que le vin coule, il pese tout d'un coup à chasser les oiseaux, et jette le fausset qu'il avait en main. les oiseaux s'en vont et le vin aussi.
Alors Jean-le-Sot met le doigt au dousil et il ne sait comment faire pour partir, car il pense qu'il lui faut chasser les mouches qui courent sur le visage de sa soeur.
Il s'arm d'un bâton et il s'en va, à coups de triques, faire fuir les mouches. Sa soeur se met à hurler et crie :
- Jean-le-Sot, tu me fais mal !
- Je fais ce que m'man m'a commandé !
Mais voilà, qu'il se souvient que le vin coule de la barrique.
Alors il revient au chai et sent une odeurde vin épandu, et il voit des ruisseaux et des mares rouges sur le sol. Comment faire ! Près de là, il y a un sac de farine. C'est la farine qui boira le vin, et ainsi il ne sera pas grondé. Ce n'est pas lui qui portera le blâme. Et il verse sur le sol la farine blanche qui rosit, rougit et absorbe le vin.
La mère qui rentre du champ entend les cris de sa fille ; elle monte dans la chambre et console Jeannette, puis veut boire. Elle va au chai remplir le potet et constate le désastre.
- Ce n'est pas moi qui ai bu le vin, dit Jean-le-Sot, c'est la farine.
- Mon pauvre drôle, tu seras donc toujours Jean-le-Sot.

(Conte de la région de Saint-Angeau.)

Jean-le-Sot reçoit la visite de la jeune fille qu’il « fréquente » et des parents. On fait des préparatifs, et Jean-le-Sot a subi un long sermon de sa mère qui lui a appris mot pour mot ce qu’il fallait dire. Jean-le-Sot,, cette fois, a bien compris. Les deux hommes font le tour du propriétaire, et 'arrêtent sous un hangar devant une charrette qui a une brouette entre ses pattes.
- Oh ! la jolie brouette ! dit le père de la fiancée.
- C'est la charrette qui a charretonné !
"Bon Dieu ! que ce garçon est sot", pense l'hiomme d'âge mûr.
La visite continue, e ils arrivent au toit à cochons. Les gorets sont graset roses, luisants de graisse. Le futur beau-père admire la portée des porcelets autour de la truie et les porcs qu'ont va tuer.
- Ils sont beaux, dit-il.
Alors Jean-le-Sot, e se rengorgeant, répond :
- Ils sont beaux ! oui. C'est moi qui les ai faits.
Et le père pense à part lui : "Je ne veux point d'un gendre qui fait des cochons."
Est-il utile d'ajouter que le mariage n'eut pas lieu et que Jean-le-Sot, qui avait emmêlé les répliques, resta Gros Jean comme devant.

(Conte de la région de Saint-Angeau.)

Jean-le-Sot est seul dans la ferme avec sa soeur Jeannette plus jeune que lui, et sur la quelle il doit veiller pendant que sa mère et sn frère Jean-le-Fin labourent un champ. Les deux enfants ne savent comment employe leur temps. Tout d'un coup, Jean-le-Sot qui a des idées, décide :
- Si nous faisions une omelette !
Il va à la grange chercher des oeufs, les casse, met de l'huile dans la poêle et verse les oeufs battus dans l'huile bouilante. L'omelette prend forme et se dore, quand tout d'un coup on entend des cris :
- Ohé ! Cornet ! Ohé ! Veurmet !
C'est Jean-le-Fin et sa mère qui rentrent du camp. Alors Jean-le-Sot, qui ne sait où cacher l'omelette, a une autre idée : il jette le contenu de la poêle dans son béret et pose le béret sur sa tête. L'huile coule en filets sur sa figure, et sa mère s'approche intriguée par ce ruissellement inusité sur le visage de Jean-le-Sot. Elle touche avec son doigt le liquide qui s'égoutte, et demande :
- Qu'as-tu fait Jean-le-Sot ?
- J'ai fait une omelette.
- Et qu'est-ce qui coule sur ta figure ?
- De l'huile chaude, m'man ! Aïe ! aïe !
Et soulevant son béret, Jean-le-Sot montre à sa mère l'omelette qui recouvre son crâne. La mère de Jean-le-Sot enlève l'emplâtre aux oeufs et voit la tête de son fils lisse comme un oeuf, toute pelée. Jean-le-Sot est brûlé, et la mère s'exclame :
- Mon pauvre drôle, tu seras donc toujours Jean-le-Sot !

(Conte de la région de Saint-Angeau.)

Il y avait une fois une femme qui avait deux garçons : l'un, renommé pour ses sottises, avait été surnommé Jean-le-Sot ; l'autre, à cause de son esprit, avait été baptisé Jen-le-Fin, car à leur naissance on les avait appelés tous deux Jean. Cette femme était pauvre et allait tous les jours en journée. Un jour, elle dit à Jean-l-Sot :
- J'ai monté une bugreade. Pendant que je ferai m journée, tu n'auras qu'à la mener.
Et la voilà partie tranquille. Notre Jen-le-Sot se dit :
- Coumin qui vês m'y prindre, per mena quelle bugeade ?
Il réfléchit, met la lessive sur sa brouette et va la promener sans les chemins toute la journée..
Quand la mère arrive, le soir, elle lui dit :
- Eh bé ! Jean-le-Sot, qu'as-tu fait de ma bugeade ?
- Oh ! te sas, m'ma louslinçons et las pilles devant être biancs, i lê mise su not berouette et i lê menade toute la journade, i nê même ps déjûna.
- Ah ! mon Dieu ! ie bien du malheur d'avêr un drôle si sot que no pas compris qui illi disave de fêre du feu dessous ma bugeade !

(Version de la région de La Rochette)

Une autre foi, la mère de Jean-le-Sot étant malade et au lit, lui dit :
- Jean-le-Sot, vê douna à migea à las poules, Ilin no une quê un trin de coua, te la feras leva de dessus sous ûs, te illi dounras à migea et quand allora fini te la fera retourna dessus sous ûs.
- Oua, dit Jean-le-Sot.
Il se dirig vers le poulailler, fait lever la poule couveuse, comme sa mère le lui avait commandé.
Mais quand la poule eut mangé elle ne voulut plus retourner sur ses oeufs. La mère du garçon s'ennuyait, s'impatientait de ne pas voir rveir son fils ; elle se leva et par la fenêtre appela :
- Jean-le-Sot, que fês-tu ?
- Mma, i sû in trin de coua.
La mère alla voir et vit Jean-le-Sot, tranquillement assis sur les oeufs, parce que la poule n'avait pas voulu revenir couver, un fois son repas pris. La mère s'écria :
- Mon pauv'drôle te sera donc terjous jea-le-Sot !

(Version de la région de La Rochette.)

Un jour, Jean-le-Sot se promenait ans le village, comme il en avait l'habitude. Il rentre dans une maison et s'arrête bouche bée devant une grosse citrouille posée sur la table...
- Qu'est-ce c'est ? demanda-t-il.
Le patron de la maison qui connaissait la naïveté de Jean-le-Sot, voulut s'amuser un peu, et répondit :
- C'est un oeuf de jument.
Jean-le-Sot devint rouge de surprise et de plaisir et dit :
- Hélas ! moi qui voudrais tant un petit poulain !
- Eh bien ! lui dit l'homme, tu n'as qu'à l'emporter et tu le couveras.
- Faut-il le couver longtemps ?
- Rien que pendant quarante jours.
Voilà Jean-le-Sot parti tout fier ; il met son oeuf dans la paille, s'installe dessus et ne prends même pas le temps d manger.
Mais au bout de quarante jours le poulain ne sortant toujours pas, Jean-le-Sot commençait à trouver le temps long. Il s'en alla trouver l'homme qui lui avait donné l'oeuf. Celui-ci lui dit :
- Il n'était sans doute pas bon !
Jean-le-Sot dit :
- Je vais le jeter dans une palisse.
Et le voilà parti, l'oeuf sous le bras. V'lan, il le lance de toytes ses forces dans la première palisse venue. Justement un lièvre y gîtait, qui eut peur, et détala sans demander son reste.
Jean-le-Sot crut que c'était son poulain qui sortait de l'oeuf. Il se mit à l'appeler : "Petit ! Petit !", et à courir après, mais l'animal ne l'attendit pas.
"J'ai bien du malheur, se dit le pauvre Jean-le-Sot, si j'avais couvé une journée de plus j'aurais eu mon poulain !"
Et il s'en alla tout penaud.

(Version de la région de La Rochette)

Une fois, la mère de Jean-le-Sot avait filé et tissé. Elle avait une poignée de tole chez elle. Elle dit à, son fils :
- Mon pauvre sot, nous n'avons pas beaucoup d'argent, j'ai de la toile, tu ferais bien d'aller la vendre.
Voilà Jean-le-Sot parti, la toile sur l'épaule. Sa mère lui fait ses recommandations :
- Fais bien attention de ne pas te faire attraper, ne vends pas la toile à ceux qui parleront trop.
Jean-le-Sot promet... En route, il rencontre un homme qui lui dit :
- Où vas-tu comme ça avec ta toile ?
- Ma mère m'envoie la vendre.
- Veux-tu que je te l'achète ?
- Oh ! non, je ne veux pas vous la vendre, parce que vous parlez trop.
Tout le long du chemin les gens lui demandent s'il veut vendre sa toile. Alors il répond toujours qu'il ne veut pas la vendre à ceux qui parlent trop.
Quand il arrive en ville, il a chaud ; il n sait quoi faire de sa toile ; il se dit : "A qui vais-je pouvoir la vendre ? Jusqu'à maintenant je n'ai trouvé que des bavard."
Il voit la porte de l'église ouverte ; il entre pour se reposer. Il voit des saints auprès du mur ; il les prend pour des hommes ; il s'approche d'eux et leur dit :
- Voulez-vous m'acheter ma tole ?
Comme personne ne lui répond, il dit :
- Au moins ceux-là ne sont pas bavards, ce sera bien mon affaire, et il laisse sa toile au pieddes saint.
Il s'en retourne à la maison. Quand sa mère le voit arriver, elle lui it :
- Où est la toile ? Où est l'argent ? Combien l'as-tu vendue ?
Et il répond :
- Je n'ai pas d'argent : tu m'as dit de la donner à quelqu'un qui ne parlait pas ; j'ai trouvé plusieurs personnes qui ont demandé à me l'acheter, mais ils parlaient trop. Je suis entré dans l'église et j'ai trouvé des hommes qui étaient debout et qui me regardaient. Je leur ai demandé s'ils voulaient ma toile, ils n'ont pas répondu, aors j'ai dit : cela fera bien mon affaire, et je la leur ai laissée.
- Holà, malheureux ! qu'as-tu fait ? Ces hommes étaient en pierre. retourne bien vite chercher ta toile.
Mais la toile était partie... et Jean-le-Sot était bien marri.

(Version de la région de La Rochette.)

Un jour, la mère de Jean-le-Sot dit à son fils :
- Tu vas mener notre vache à la foire, et surtout fais bien attention de ne pas te faire attraper.
Il prend la vache par la corde, et le voilà parti.
En s'en allant, il trouve un homme qui menait un cochon. Cet homme lui dit :
- Où vas-tu, Jean-le-Sot, avec ta chèvre ?
- Une chèvre ! Ma mère m'a dit que c'était une vache.
- Eh bien ! ta mère t'a bien trompé, moi je te dis que c'est une chèvre !
- Ah ! moi qui n'aime guère les chèvres, c'est tellement capricieux ! Ca broute tout ce que ça trouve ! Vous devriez me la changer pour vore cochon, ma mère parlait justement l'autre jour qu'elle voudrait manger des boudins et avoir de la graisse ; elle serait bien contente.
- Je veux bien, dit l'homme ; tiens, l voilà mon cochon, prends-le par la corde et donne-moi ta chèvre.
Voici donc Jea-le-Sot parti à nouveau avec son goret attaché par la patte.
Il fait un bout de chemin et rencontre une vieille qui gardait un mouton. Quand il passe, la vieille lui dit :
- Où vas-tu, Jean-le-Sot, avec ton cochon ! Il n'a pas l'air de trop bien marcher !
- Je vais à la foire.
- Tu devrais bien le changer pour mon mouton. Il marcherait mieux et tu serais plus vite rendu.
- je veux bien, dit Jean-le-Sot, ma mère qui voudrait de la laine depuis si longtemps pour me faire des chaussettes, ça tombera bien...
Il donne le cochon à la vieille et s'en va avec son mouton. Il fait encore un bout de chemin et voit une jeune fille portant une oie dans un panier.
- Que portez-vous donc là, mam'selle ? Vous avez l'air bien chargée ?
- Ah ! c'est une oie que j'emporte au marché.
- Tenez, si vous voulez la changer pour mon mouton, moi j'aime beaucoup la graisse d'oie et les confits, et puis ça vous déchargerait, vous n'auriez pas la peine de la porter et mon mouton marche bien.
- Je veux bien, dit la jeune fille, tenez, voilà mon oie, donnez-moi votre ouêille.
Jean-le-Sot prend donc l'oie sous son bras et s'en va en se disant : "Comme ça, je marcherai plus vite !" un peu plus loin, comme il était presque arrivé en ville, il voit un gamin qui menait un coq attaché par la patte. Il lui dit :
- Où vas-tu avec ton coq ?

- Je le porte vendre à la ville.
- Tu devrais bien le changer pour mon oie, je suis fatigué de la porter, le coq marchera peut-être mieux.
- Je veux bien, dit le jeune drôle. Tiens, voilà la corde, donn-moi ton oie.
Jean-le-Sot prend la corde et amène le coq qui n'était pas trop aisé à faire marcher. En arrivant sur la place de l'église, voilà une troupe de gamins qui sortent de l'école en courant. Ils vont se jeter sur le coq qui prend peur et s'envole. Jean-le-Sot lâche la corde et le coq s'envole sur le rocher : sa corde s'enroule autour de la flèche. Jean-le-Sot l'appelle : "Petit ! petit", mais l'oiseau ne peut pas descendre puisqu'il est attaché.
Jean-le-Sot s'en retourne chez lui les mains vides.
- Qu'as-tu fait de tavache ? lui dit sa mère, l'as-tu bien vendue ?
- Mais ce n'était pas une vache, c'était une hèvre !
- Ah ! malheureux, tu te fais toujours attraper !
- Ma foi, j'ai changé ma chèvre pour un cochon, comme ça tu aurais mangé des boudins ; après j'ai changé mon cochon pour un mouton, comme ça tu aurai eu de la laine ; ensuite j'ai changé mon mouton pour une, oie, j'ai pesé que tu aimais bien le foies d'oie et que ça te ferait plaisir ; voilà que mon oie était bien trop lourde, j'ai vu un joli coq, j'ai pensé que tu serais contente de le mettre avec tes poules. Je le menais par une corde, tout d'un coup les drôles lui ont fait peur, il a sauté sur le clocher de l'église et il y est encore attaché.
- Ah ! malheureux, tu seras donc toujours aussi sot ! Après comme avant, tu feras donc toujours des bêtises !

(Version de la région de La Rochette)

Jean-le-Sot, ce jour-là, comme d'habitude, arpentait les rues du Courtivre, sa casquette sur l'oreille, ses mains engoncées dans les poches de son pantalon, ses pieds au chaud dans ses sabots ronds, garnis de paille. Le nez au vent, l'oeil torve, il paraissait considérer avec intérêt les nuages qui filaient en troupe au-dessus de sa tête. Le père Natole, non loin de là, fumait sa pipe assis sous la treille sur le banc de pierre de son seuil, l'oeil mi-clos, la lippe mi-souriante, enfouie sous sa forte moustache blanche, mijotant quelque farce.

- Hé ! drôle, qu’étou qu’olé qué tu fais aneût ! lança-t-il tout à coup, tirant un peu plus fort sur son brûle-gueule.
- Reun !
- Veux-tu ben venir avec moué ? J’hallons chercher la trace de la mitouarde, et j’irons à l’aguet thiette neût.
- Veux ben, père Natole.
Aussitôt dit que fait : le père Natole attrape son bâton et en avant ! Les voilà partis en direction du côteau du Palan qui, vous le savez tous, domine Marcillac et est balayé par la bise d’hiver. Le père Natole avait bien une drôle de lueur dans ses petits yeux gris, mais Jean-le-Sot était trop niais pour la voir.
- Quétou qu'olé que thielle bête, thielle mitouarde, père Natole ?
- O faut pas en parler, mon fî, o la fait en aller. Tout ce que je peux te dire, olé qu'à ressiembe à la foué à un chat, un renard et une fouin et jhte garantis que le père Sicot te paiera sa piâ pu de cinquante pistoles. O faut une neut sans lune et un temps fret comme aneut pour l'aguet. Tu zou verras d'souère.
Et le vieux paraissait chercher dans les halliers, repérant des passages, des coulées qui n'étaient que des passages de lapins, relevant du bout de sa canne les brins d'herbe paraissant considérer avec attention quelques crottes, quelques éraflures sur le sol.
- O lé certain qu'à l'est ghittée par là ! lança-t-il laconique.
Jean-le-Sot le suivait, intéressé, déjà conquis par cette chasse inusitée.
Tout à coup, Natole tomba en arrêt sur un endroit vide de toute herbe, certainement le gîte déserté de quelque lièvre. Il mit un doigt sur sa moustache, écartant le l'autre main les brins d'herbe, montrant à Jean-le-Sot le coin bien battu par la bête absente.
- Jh'la t'nons ! à d'souère, mon drôle, à la luzerne à Zuzu, t'apporteras une bourse pour la mettre et une trique pour l'assommer.
Le soir, à l'heure dite, sous un froid piquant, Jean-le-Sot était là. Le père Natole le posta derrière un bouquet de genévrier, la trique hate, prêt à frapper la bête entrant au gîte. Puis, lui ayant conseillé de patienter, car l'attente serait longue, le père Natole déclara qu'il allait battre les environs pour ramenerl'animal vers son refuge. Et il s'en fut tranquillement dans la nuit noire et froide... se coucher.
Le lendemain matin, tout Macillac averti était sur les portes, le quolibet tout prêt pour salur le retour penaud d'un Jean-le-Sot transi de froid, ratatiné dans sa blouse raidie de gelée blanche, l'oreille basse, le nez rouge et gouttant le coryza, mais aussi démuni de bête rare que d'esprit.
Seul le père Natole, embusqué derrière son carreau de cuisine, bourrant d'un pouce calciné son éternelle bouffarde, n'était pas venu attendre (ça se comprend) le retour du coureur de mitouarde.

Mathilde Mir, Contes, récits et légendes des pays de France