Le curé de Saint Balentruy, près Poligny, en Poitou, avait, en parlant par respect, un bon cochon. Le sacristain lui dit :
- Monsieur le curé, votre cochon est bien gras, si vous tuiez, parce qu'on pourrait bien vous le voler !
Et ma foi, il vola le cochon du curé, pendant la nuit. Et le curé de se désoler :
- Hé, mon Dieu ! qui donc a pu voler mon cochon ?
Pas moyen d'en avoir des nouvelles.
Mon sacristain, lui, en mangeait tous les jours, et ça se sentait bien assez ; chaque fois qu'il passait devant le curé, il lâchait des vents, hein ! mais le curé ne sentait rien !
Quand le cochon a été mangé, le sacristain a ramassé tous les os, les a portés devant saint Balentruy :
- Ah ! qu'il dit, monsieur le curé, i l'ai ben trouvé, tenez, moi, celui-là qu'a volé votre cochon ! Tenez, voyez donc les os !
Le curé attrape le bâton de la croix, et cogne que je te cogne sur saint Balentruy ; il le casse.
- Ah ! qu'il dit, il n'en mangera plus de cochon !
Le sacristain lui dit :
- Hé ben, oui, monsieur le curé ! Mais vous avez encore fait une mauvaise affaire là. dans deux jours, c'est l'assemblée ; le monde qui viendront pour faire leur voyage, quand ils ne trouveront plus de saint, comment feront-ils ?
- Ah ! T'as encore bien raison ! Et commnt faire ? Et comment faire ?
- Ah ! qu'il dit, je sais un homme qui ressemble comme deux gouttes d'eau à défunt saint Balentruy ; s'il voulait prendre sa place pour un jour !
- Assurément, assurément, c'est ce qu'il nous faut ! Va donc le trouver.
Il s'en va le trouver.
- Dis-moi doncun tel ! N'avons besoin d'un saint Balentruy à l'église, pour le jour de l'assemblée veux-tu nous en servir ? Tu lui rssembles pas mal.
Allons, les voilà à débattre les conditions. Mon homme s'en va voir le curé. L'affaire fut entendue pourtrois francs.
Le jour de l'assemblée, l'homme est venu ; il s'est déshabillé, tout nu ; le sacristain l'a un petit bout peinturluré, et puis il l'a fait mettre à la place de saint Balentruy.
- Surtout, qu'il lui dit, ne bouge pas ! Quoi qu'on te fasse, ne bouge pas et ne dis rien ! Fais bien attention !
Le monde sont donc venus, et les voilà tous à faire leur voyage, à mettre des cierges debant sant Baletruy ; les uns lui en mettaient sur les pieds, les autres entre les doigts, partout. Le malheureux, ça le brûlait, hein ! Et il n'osait rien dire, d'autant que le curé, qui était là à lire des évangiles, lui lançait des oeillades, pour le faire tenir tranquille !
A la fin, il vint une vieille bonne femme, vieille, vieille, toute courbée ; elle n'avait plus de dents, plusqu'un crochet devant qui sortait ; elle s'approche :
- Ah ! mon cher saint Balentruy ! Ah ! mon bon saint, il faut ben qu'i vous bije ! Ah !
Elle va pour bijer (embrsser) son gros orteil ; son crochet enfonce dans le pied de saint Balentruy :
- Hé ! sacré vieille garce ! Veux-tu t'arracher ! qu'il lui dit, et il lui envoie un coup de pied dansla figure, l'envoie rouler les jambs en l'air dans l'église, et lui de se sauver de là, oui !
Et tout le monde de crier :
- Miracle ! Miracle ! Le bon saint Balentruy est ressuscit !
Léon Pineau, Contes, récits et légendes des pays de France
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