Dans l'imagerie de la Grande Guerre, le général Joffre (1852-1931) a bénéficié d'une admiration exceptionnelle, d'un véritable culte, sans doute unique dans l'histoire de la propagande en France. Fils d'un tonnelier de Rivesaltes, le jeune homme entra à l'Ecole polytechnique à 17 ans et en sortit officier du génie. Il accomplit une longue carrière aux colonies, y construisant des voies ferrées, des ponts et des fortifications, ce qui, à première vue, ne le destinait pas vraiment à la fonction suprême dans le conflit qui se préparait avec l'Allemagne. Mais ce bon républicain se retrouva chef d'état-major général en 1911, c'est-à-dire commandant en chef en temps de guerre.
Joffre ne sut prévoir ni l'invasion de la Belgique ni la bataille de frontières du Nord pas plus qu'il ne parvint à élaborer un plan sérieux d'offensive contre la Lorraine allemande en 1914. Mais il remporta, in extremis, la bataille de la Marne et ce titre allait suffire à lui assurer une gloire éternelle. Ce gros homme, à la moustache blanche, toujours d'un calme inébranlable, inspirait confiance, rassurait un peuple traumatisé par les revers successifs et une guerre qui n'en finissait pas. On en fit donc un héros national, digne héritier de Jeanne d'Arc et de Napoléon. Notre Joffre devint aussi J'offre la Victoire et on alla jusqu'à le comparer à Dieu le Père puisqu'il eut droit à un Credo et même à un Pater :
"Notre Père Joffre qui êtes au front,
Que votre Nom soit sanctifié,
Que la Victoire arrive..."
Cette image populaire entretint la confiance des Français, soutint leur moral et, malgré l'éviction du prétendu grand stratège en décembre 1916, le culte du héros persista bien au-delà de la victoire de 1918.