Chez Nous
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Chez Nous

Tu entres, ici dans un havre de paix ...
 
AccueilAccueil  PortailPortail  GalerieGalerie  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  

 

 La male herbe - La demoiselle de Tonneville

Aller en bas 
AuteurMessage
Joa
Admin
Admin
Joa


Nombre de messages : 13100
Age : 76
Localisation : Martigues
Réputation : 0
Date d'inscription : 19/02/2006

La male herbe - La demoiselle de Tonneville Empty
MessageSujet: La male herbe - La demoiselle de Tonneville   La male herbe - La demoiselle de Tonneville EmptyVen 29 Mai - 14:28

A la Hague et au Val-de-Saire, les hauteurs sont souvent dénudées et forment des landes plus ou moins étendues. L'herbe y reste toujours courte et la végétation toujours maigre, mais ces landes ont, en été, quelque chose de singulièrement pittoresque. Les ajoncs nains à la verdure sombre, aux fleurs papilionacées d'un jaune éclatant, la bruyère cendrée aux fleurs tubulées du plus beau carmin, la bruyère commune en touffes couronnées de fleurs d'un blanc rosé, croissent à peu près à la même hauteur et forment des dessins variés. On dirait un tapis oriental, où les fleurs carmin et rose de la bruyère, les fleurs jaune vif des ajoncs, entremêlées de quelques fleurs bleues à longues tiges, se détachent sur une verdure vert foncé qui compose le fond. Par les beaux jours, quand on aperçoit à distance la mer bleue et calme dont la brise vient doucement vous rafraîchir, quand l'oreille est caressée par le chant joyeux de l'alouette dans le ciel et le grésillement des criquets dans l'épaisseur des herbes, on se sent tout heureux de vivre.
Mais l'hiver, quand le vent souffle avec violence emportant les dernières feuilles des arbres, tourbillonnant dans les cimes et grésillant dans le feuillage fauve des jeunes hêtres, lorsqu'une ondée vient de temps à autre s'abattre sur le voyageur attardé, envelooppé par la nuit, la lande se fait lugubre, et comme on n'a pas toujours de points de repère, on s'égare souvent. Grisé par la marche et quelquefois par les vapeurs du cidre, le paysan qui rentre chez lui soit à pied, soit à cheval en revenant de la ville, est souvent pris d'une sorte de vertige ; il perd le sentiment de l'orientation ; il ne reconnaît plus le petit sentier qu'il lui faut suivre et croît s'être égaré, il en prend un autre et se reconnaît moins encore ; un buisson, un arbre, quelque pierre blanche qu'il a remarqués reparaissent toujours. Il marche, il chevauche fiévreusement, il est épuisé de fatique et se retrouve toujours au même point. Quelquefois il s'arrête de désespoir, s'assied sur quelque pierre et attend ainsi le jour.

Le lendemain il vous apprend qu'il s'est égaré parce qu'il a marché sur male herbe, sur l'herbe de l'égarement, I'rrkraut des Allemands. Cette herbe croît surtout dans les landes, dans les carrefours, où il est facile de prendre un chemin pour un autre. En Allemagne, en Russie, l'herbe de l'égarement a une forme. C'est souvent la fougère ou telle espèce de fougère. A la Hague, elle n'a pas de forme connue, on ne l'a jamais vue, mais beaucoup assurent en avoir ressenti les effets et la suite s'être mis à marcher avec acharnement dans la direction opposée à celle qu'ils auraient dû suivre.
Les gens attardés et égarés pendant la nuit finissent souvent par reconnaître que ce n'est pas l'herbe seule qui leur fait prerdre leur route et qu'un être malicieux s'est amusé à leur jouer un tour. Le plus souvent c'est une dame vêtue de blanc qui apparaît et disparaît en riant de l'espiéglerie qu'elle a faite. Quelquefois elle devient plus familière, elle se montre et engage même la conversation, mais il faut s'en défier, elle est perfide et il est prudent de s'en tenir à distance. Presque toutes les landes un peu étendues ont leur dame blanche. Il en est même Que l'on désigne sous le nom particulier de lande à la dame.
Ces dames ont le plus grand rapport avec les roussalki russes, et comme ces dernières, quelques-unes d'entre elles ont été jadis des femes, des jeunes filles. La plus célèbre des dames blanches de la Hague est la Demoiselle de Tonneville. On montre encore le manoir où elle a vécu autrefois avant de devenir dame blanche. Elle appartenait à la famille de Percy, qui n'est pas encore éteinte et dont un des derniers descendants a fourni des couplets au Momus normand de 1832. Le manoir où elle vécut est une construction de modeste apparence qui se distingue à peine des autres habitations des propriétaires aisés du pays. A quelle époque vivait-elle ? La tradition est muette sur ce point, mais on lui attribue d'avoir été impatiente, dure pour ses vassaux et surtout vindicative.
Une contestation était survenue entre la paroisse de Tonneville et la paroisse limitrophe de Flottemanville au sujet d'une lande. On plaida avec acharnement de part et d'autre ; Melle de Tonneville, irritée des obstacles qu'elle rencontrait, s'écria un jour : "Si, après ma mort, j'avais un pied dans le ciel, et l'autre dans l'enfer, je retirerais le premier pour avoir toute la lande à moi."

Elle répéta ce propos à plusieurs reprises. Elle ne se maria pas et vécut brouillée avec tout le monde. Quand elle tomba malade, le curé vint pour la préparer à la mort, elle lui répondit qu'elle était toute préparée et n'avait pas besoin de son intervention. Il l'exhorta à se réconcilier avec ses ennemis et à rétracter ce qu'elle avait dit au sujet de la lande ; elle refusa énergiquement et répéta que si elle avait un pied dans le ciel et l'autre dans l'enfer, elle retirerait le premier jour pour avoir la lande, et mourut dans l'impénitence finale.
On s'attendait à un prodige au moment de sa mort. Il n'arriva rien de particulier, mais lors de l'enterrement, quand on voulut sortir le cercueil, le corps devint si lourd qu'il fut impossible d'aller plus loin. On essaya de le mettre sur un chariot, impossible aux plus forts hommes de le soulever. On y attela jusqu'à six chevaux, le cercueil ne bougea pas. On prit le parti de creuser le sol à l'endroit même ; la fosse une fois faite, on y descendit le corps sans difficulté, on remit la terre et les pierres par-dessus. Ces pierres dorment maintenant le seuil der la cour.
Le souhait de Melle de Tonneville ne tarda pas à se réaliser, à en croire la tradition. Dès qu'il fait nuit, si l'on passe sur les landes de Tonneville ou de Flottemanville, on s'expose à rencontrer la Demoiselle vêtue de blanc. Quelquefois on croit l'apercevoir de loin, puis, si l'on regarde mieux, on ne distingue plus rien. Le plus souvent elle s'amuse à égarer les voyageurs, à leur faire perdre le sentier connu, à les attirer sur ses pas et à troubler tellement leur esprit, qu'au lieu d'arriver à leur destination, ils se trouvent, sans savoir comment, près de l'étang de Percy où, d'un coup brusque, la Dameles précipite. On l'entend ricaner alors du succès de sa ruse.
Une nuit mon arrière-grand-père maternel traversait la lande à cheval. Il revenait de Cherbourg et il avait quelque peu festoyé avec ses amis, je suis porté à le croire ; une voix se fait entendre sur la lande, une voix féminine très douce :
- Où coucherai-je cette nuit ?
Il regarde, il aperçoit une belle dame en blanc qui répète sa question :
- Où coucherai-je cette nuit ?
- Avec moi, belle dame, je vous en prie.
Il n'avait pas achevé ces mots que son cheval fit un brusque écart et se mit à renifler : la demoiselle avait sauté en croupe derrière lui, le cheval prit le galop. Mon bisaïeul se retourna vers la dame, il la remercia de vouloir bien lui tenir compagnie et pour commencer la connaissance, il voulut l'embrasser ; mais elle lui montra des dents d'une longueur démesurée (en patois : O te li décaouchit un chiffre !...) et s'évanouit. Il s'aperçut alors qu'elle l'avait conduit dans l'étang.

Quand elle eut disparu, le cheval, qu'une force supérieure n'incitait plus, rebroussa chemin avec quelque peine, regagna la lande et emporta son maître à la maison, aussi vite que s'il avait eu le feu à ses trousses.

Jean Fleury, Contes, récits et légendes des pays de France.
Revenir en haut Aller en bas
http://site.voila.fr/chezjoa
 
La male herbe - La demoiselle de Tonneville
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» La demoiselle d'Héauville - Les Milloraines
» Au royaume des fourmis, il ne fait pas bon être mâle
» Pilote en herbe
» L'herbe à Robert
» Chauffard en herbe

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Chez Nous :: Les pipelettes :: Histoires insolites :: Contes et légendes-
Sauter vers: